Interview Abdoulaye SAMBA, FENAGIE PECHE

Published on 16 décembre 2021
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  • Bonjour Abdoulaye, est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ainsi que ton parcours ?

 

Je m’appelle Abdoulaye SAMBA. Je suis le coordonnateur Technique de la FENAGIE PECHE au Sénégal (Fédération Nationale des Groupements d’Intérêts Economique de pêche). J’interviens dans le secteur de la pêche artisanale depuis 1989. Mon rôle est principalement d’apporter un appui-conseil aux organisations de pêche artisanale au Sénégal. J’ai d’abord travaillé dans une ONG d’appui au secteur avant de rejoindre la FENAGIE PECHE en 1997. Pour donner un ordre d’idée, aujourd’hui la FENAGIE pêche a 39 unions locales membres représentant 475 GIE, composés de 7975 femmes et 2231 hommes. En plus de mes années de travail au Sénégal, j’ai aussi pu bénéficier d’un perfectionnement en France au Guilvinec (Bretagne) au niveau du Comité Local des Pêches pour mieux comprendre la problématique liée aux organisations communautaires de base pour les rendre fortes et autonomes.

 

  • Pourquoi une organisation de pêcheurs comme la FENAGIE s’intéressent-elle à la conservation de la biodiversité ?

 

La conservation de la biodiversité est une question d’actualité. Y intervenir est avant tout un devoir pour tout un chacun. Il y a aussi le fait que le secteur de la pêche subit de plein fouet les effets liés aux changements climatiques. D’autre part, la FENAGIE PECHE a pour objectif l’amélioration des conditions de vie et de travail de ses membres, la défense des intérêts et des droits des membres, mais aussi une meilleure exploitation des ressources naturelles. Ainsi, c’est à travers ce dernier objectif que nous avons le devoir d’intervenir pour la préservation des ressources et notamment halieutiques.

 

  • Qu’est-ce que vous faites concrètement dans ce domaine ?

 

Dans le domaine de la conservation, nos actions les plus concrètes sont développées au niveau des îles du Delta du Saloum. Dans cette zone, nous avons beaucoup de membres à travers nos unions locales de base, et il n’y a pas une année où nous ne participons pas aux activités de reboisement de manière directe par la FENAGIE PECHE, ou indirecte à travers des ONG qui sollicitent nos membres pour des interventions. Ainsi, en plus des activités d’information, de formation et de sensibilisation sur les sujets relatifs à la conservation de la biodiversité, nous déroulons fréquemment des actions de reboisement de la mangrove, des actions d’immersion de récifs artificiels, des activités génératrices de revenus à travers l’installation de ruches et de guirlandes ostréicoles qui contribuent à la protection de la mangrove. Au niveau national nous faisons beaucoup de plaidoyer surtout pour protéger la sardinelle qui est essentielle pour la sécurité alimentaire des populations.

 

  • Quels sont les résultats que la FENAGIE observe en matière de conservation ?

 

Les résultats sont satisfaisants et visibles dans le delta du Saloum. Nous constatons que les membres actifs dans les unions locales de cette zone s’approprient la thématique et de manière régulière mènent des actions de conservation de la biodiversité. Grâce au PPI et à Action de Carême Suisse nous avons reboisé entre 2018 et 2021, 30 hectares de mangrove. D’autre part, les femmes membres qui font de la cueillette de coquillages gèrent des espaces aquacoles en faisant respecter des périodes de repos biologique et des ensemencements de juvéniles d’arches (coquillage) et ceci permet une bonne préservation de la ressource contribuant ainsi à la durabilité de l’activité de pêche. Grâce à un appui du fonds SMILO, nous avons également pu immerger des récifs artificiels à base de coquillages afin de rétablir la biomasse dans certaines zones. Enfin, grâce aux actions de sensibilisation et des formations que nous organisons, il est constaté une diversification d’activités en faisant de la transformation de produits forestiers en jus locaux, ceci étant un moyen de contribuer à la création de revenus tout en laissant les produits halieutiques se reproduire convenablement.

 

  • Quelles perspectives vois-tu en termes de conservation pour la FENAGIE et quels défis vois-tu ?

 

Comme perspectives, nous voulons développer des actions de valorisation des bivalves à travers essentiellement l’installation de zones ostréicoles. En effet, c’est un moyen sûr de pouvoir arrêter la coupe des racines de palétuviers de la part des productrices d’huitres, consommées au Sénégal. Il y aussi l’installation de ruches dans les espaces de mangrove pour la production de miel. Nous souhaiterions aussi poursuivre des actions de reboisement et de suivi des espaces déjà reboisés. Si les moyens le permettent également, les ménages pourraient être équipés de bio digesteurs toujours pour réduire l’utilisation du bois de mangrove lors des cuissons. Le grand défi maintenant c’est le secteur de la pêche maritime, où il nous faudra poursuivre de nombreuses actions d’information et de sensibilisation contre les mauvaises pratiques de pêche et la préservation des juvéniles de petits pélagiques dont les zones critiques se trouvent essentiellement dans les zones de mangroves. Beaucoup d’actions seront nécessaires pour une bonne adaptation aux effets du changement climatique. Mais il y aussi pour la pêche artisanale un défi majeur qui porte sur l’exploitation des hydrocarbures. Au Sénégal, à partir de 2023, beaucoup de nos zones de pêche traditionnelles nous seront interdites d’accès à cause des plateformes d’extraction de pétrole et de gaz, et ceci laisse présager des lendemains difficiles pour les communautés de pêche, mais aussi beaucoup de conflits. C’est pourquoi, nous devons beaucoup travailler pour renforcer les Aires Marines Protégées et autour de celles-ci pour contribuer à la restauration des habitats marins et la conservation de la biodiversité, élément clé pour le développement économique des Sénégalais.

 

  • Enfin, tu as pu te rendre au Congrès Mondial de l’UICN à Marseille, comment est-ce que tu t’es positionné lors de ce congrès ?

 

J’ai pu effectivement me rendre au Congrès Mondial de l’UICN en 2021 tenu à Marseille en tant que bénéficiaire d’un financement PPI. J’ai essayé de faire le plus que possible un plaidoyer à l’endroit de la société civile, lors d’une intervention sur le stand de l’Union Européenne et lors d’entretien directs avec les bailleurs rencontrés, pour qu’elle ait la possibilité d’être davantage soutenue. En effet, les moyens mis à sa disposition sont considérés comme trop faibles au regard des enjeux, alors que la société civile est au cœur des préoccupations. J’ai demandé qu’elle soit accompagnée de manière plus directe et plus conséquente, notamment face aux ONG internationales qui ne lui laisse pas beaucoup de chance de pouvoir capter des fonds lors des appels à candidature. Peut-être devrions nous avoir plus de sources de financement différentes, telles que le PPI, afin d’accroitre nos chances et de mettre en œuvre les solutions à nos propres difficultés que nous vivons au quotidien. Nous n’avons certes pas les mêmes capacités d’absorption mais nous sommes directement sur les sites. Nous savons que rien qu’une partie des moyens mis à disposition dans certains projets nous permettrait de réaliser des résultats plus significatifs. C’est pourquoi nous plaidons pour que la société civile soit encore davantage soutenue, renforcer et accompagner. Avec ce congrès, j’ai pu constater la forte présence de la société civile africaine, et vu ce positionnement dans un évènement international, j’ai espoir que des changements viennent et que les opportunités de petits financements s’accroissent dans l’avenir. A nous de montrer notre légitimité sur le terrain et continuer ce plaidoyer dans ce sens.

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