Interview de Mamadou Karama, directeur exécutif de l’AGEREF/CL au Burkina Faso
Published on 13 juillet 2023
- Monsieur Karama, vous êtes le Directeur Exécutif de l’AGEREF/CL pouvez-vous nous présenter un peu votre association ?
L’Association de Gestion des Ressources naturelles et de la Faune de la Comoé – Léraba, en abrégé AGEREF/CL, est une structure faîtière de droit Burkinabè à but non lucratif, créée le 25 février 1999 et officiellement reconnue le 5 janvier 2001. Elle est constituée de 17 associations villageoises qui ont la particularité d’être attenantes à la Forêt Classée et Réserve Partielle de Faune de la Comoé-Léraba (FCRPF/CL), un espace naturel de 125 000 hectares situé à l’Ouest du Burkina Faso.
Le but de l’AGEREF/CL est de promouvoir la gestion durable des ressources naturelles et de la biodiversité au Burkina Faso au moyen d’une approche participative qui combine les nécessités de conservation aux aspirations légitimes de bien-être des communautés. C’est dans cette optique que l’État lui a cédé la gestion de la Forêt Classée et Réserve Partielle de Faune de la Comoé-Léraba devenant du même coup la première expérience de concession communautaire.
Ses domaines d’action sont i) le renforcement des capacités (sensibilisation, formations thématiques, éducation environnementale, etc.) ; ii) l’aménagement et la protection des ressources naturelles (construction d’infrastructures, entretien périodique des pistes forestières, application des feux précoces, surveillance villageoise, etc.) ; iii) le suivi écologique (inventaire périodique de la faune) ; iv) la valorisation des ressources naturelles (chasse sportive, écotourisme, pêche, production du soumbala, beurre de karité, miel, élevage de petit gibier) ; v) l’adaptation et l’atténuation du changement climatique (promotion de bonnes pratiques agro forestières, énergies renouvelables, restauration des terres dégradées, etc.) ; vi) la réalisation d’études thématiques ; vii) la promotion de la paix et de la cohésion sociale.
Sur le plan de la gouvernance, l’AGEREF/CL est administrée par une Assemblée Générale qui est l’instance suprême, un Bureau qui assure la continuité de l’association dans l’intervalle des assemblées et une Direction Exécutive qui assure la mise en œuvre technique quotidienne des plans de travail et budget annuels de l’association.
Initialement localisée dans la région des Cascades, le zone d’intervention de l’AGEREF/CL s’est progressivement agrandie pour atteindre le niveau national.
- A quel moment et dans quelles circonstances avez-vous personnellement pris le parti de vous engager pour la Nature ?
Frais émoulu de l’université, je suis recruté en 1996 en tant que sociologue membre de l’Equipe Mobile Pluridisciplinaire (EMP) de la Cellule Technique d’Appui à la mise en œuvre du Projet de Gestion Participative des ressources naturelles et de la Faune (GEPRENAF). Ce projet transfrontalier entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire ambitionnait de promouvoir une gestion durable des ressources naturelles et de la biodiversité à travers une gestion participative qui plaçait les communautés au cœur du processus d’analyse, de planification, de mise en œuvre et de suivi-évaluation des actions.
Je venais de faire le grand saut dans le monde totalement inconnu mais passionnant de la conservation. Au cours des 6 ans que cette expérience a duré, j’ai vécu au contact des communautés que j’ai accompagnées pour la connaissance participative de leur milieu, le renforcement de leurs capacités techniques, organisationnelles et financières. Je leur ai également apporté l’appui conseil dans la réalisation des travaux d’aménagement, de surveillance et de protection de la forêt, d’inventaire de la faune, d’exploitation des ressources naturelles, de suivi et d’évaluation des actions.
Cette proximité avec les communautés a été le déclencheur de mon engagement en faveur de la conservation de la Nature. Premièrement, j’ai pris conscience des liens matériels et immatériels que les communautés entretiennent avec la nature et leur disponibilité à s’engager en faveur de sa conservation pour peu qu’elles soient impliquées dans le système de gouvernance et de gestion mis en place.
Deuxièmement, les bons résultats atteints par le projet GEPRENAF en matière d’amélioration des indicateurs biologiques après plus de deux ans de travail acharné, ont fini par me convaincre que la dégradation des ressources naturelles n’était pas une fatalité et que la reconquête des territoires dégradés était possible si l’on arrivait à apporter les réponses efficaces.
Troisièmement, lorsque je suis passé Secrétaire Exécutif de l’AGEREF/CL, avec pour mission de l’aider à gérer la concession de la FCRPF/CL que l’État venait de lui accorder, je me suis rapidement rendu compte de la fragilité de notre expérience et de sa dépendance aux chocs exogènes qui étaient aussi déterminants que les moyens et les efforts internes que nous consentions quotidiennement dans la zone. Ce constat m’a amené à comprendre la complexité de la situation et à appréhender la conservation de la nature dans une perspective holistique. Désormais, il ne s’agissait plus pour nous d’agir seulement sur l’aire protégée que nous gérons, mais aussi et surtout d’intervenir à la périphérie, immédiate et lointaine, où se trouvaient d’autres acteurs ayant des intérêts pouvant être convergents et/ou divergents avec nos objectifs de gestion. Laissées à elles seules, sans un accompagnement de proximité, les communautés ne pouvaient, malgré leur bonne volonté, gérer efficacement et durablement leur concession.
A travers ce récit, vous constatez donc clairement que mon engagement en faveur de la conservation de la Nature découle de trois principaux facteurs : le constat de l’existence d’une éthique écologique chez les communautés ; la conviction que la dégradation de la nature n’est pas une fatalité et que la renaturation est possible ; la prise de conscience de la nécessité pour les communautés de disposer d’un appui technique de proximité en vue de les accompagner dans leurs efforts de conservation de la nature tout en étant résilientes aux chocs exogènes et endogènes.
- Quelle est selon vous la plus grande victoire d’AGEREF/ CL ?
La plus grande victoire de l’AGEREF/CL est d’être arrivée à opérationnaliser le concept de gestion communautaire d’une aire protégée au Burkina Faso.
Pour faire court, je dirai que l’état burkinabè et la Banque Mondiale, à travers le projet GEPRENAF, ont promu le concept de gestion communautaire des aires protégées ; et l’AGEREF/CL l’a opérationnalisé en lui donnant un contenu tangible et compréhensible au niveau de la réserve de faune de la Comoé-Léraba.
Le mérite de cette expérience a d’ailleurs été reconnue aux niveaux national et international par les distinctions suivantes :
-Médaille de Chevalier de l’Ordre du Mérite du Développement Rural à l’AGEREF/CL en 2012 ;
-Finaliste de « Equator Prize 2012 » du PNUD en 2012 ;
-Lauréat du Forum Afrique 2013, 100 innovations pour un Développement Durable à son Directeur Exécutif ;
-1er prix du miel de la Journée Nationale du Paysan du Burkina Faso en 2013 ;
-1er prix du Beurre de Karité de la Foire Régionale Agro-Sylvo-Pastorale et artisanale des Cascades en 2014 ;
-Médaille de Chevalier de l’Ordre du Mérite Burkinabè à son Directeur Exécutif en 2020.
- Quelle est la personne qui est actuellement votre source d’inspiration et pourquoi ?
Mon engagement et mon éthique en faveur de la nature sont le fruit de plusieurs rencontres avec des personnalités du milieu de la conservation qui ont rythmé mon parcours professionnel. Ces personnalités, aussi extraordinaires qu’inspirantes, sont nombreuses, mais j’évoquerai quelques-unes :
Urbain Belemsobgo, Ingénieur des Eaux et Forêts et expert en biodiversité : il est celui qui a guidé mes premiers pas dans le monde inconnu mais passionnant de la conservation de la nature au début de ma carrière. Convaincu que les sciences humaines, sociales et économiques avaient beaucoup à apporter à la conservation, il m’a aidé à assimiler rapidement les principales notions théoriques et pratiques de la conservation et, surtout, sa passion et son sens de la rigueur dans le travail.
Emmanuel Nikiema, Expert Senior en gestion des ressources naturelles à la Banque Mondiale à la retraite, actuellement consultant indépendant : Pétri d’expériences et de talents dans la gestion participative des terroirs et des ressources naturelles, doté de qualités humaines extraordinaires, il m’a permis de comprendre que la patience, la flexibilité et la tempérance sont des qualités qui mènent au succès.
Jean Michel Pavy, Expert senior en gestion des aires protégées et biodiversité à la Banque Mondiale, aujourd’hui à la retraite, et amateur de chasse sportive : Pour lui, l’engagement en faveur de la conservation de la nature est avant tout un art de vivre qui doit se refléter dans nos actions quotidiennes. Il m’a encouragé à inscrire la gestion de la réserve de la Comoé-Léraba dans une perspective entrepreneuriale, en vue de parvenir à une autonomie de gestion.
Francis Lauginie, Spécialiste de la conservation de la nature et des aires protégées d’Afrique : Personnalité d’exception, il m’a encouragé et m’a prodigué des conseils précieux lorsque je fus promu Secrétaire Exécutif de l’AGEREF/CL. Face à ma fougue de vouloir promouvoir au forceps, la surveillance villageoise comme part contributive des communautés dans la protection de la réserve de la Comoé-Léraba, il a su trouver les mots justes pour attirer mon attention sur les éventuels dangers qui pourraient provenir d’une telle initiative. Il m’a convaincu que, malgré le caractère pilote et novateur de notre expérience et l’environnement politique et institutionnel favorable dont nous bénéficions de la part des autorités de la conservation, toutes nos actions devraient s’inscrire dans la légalité. Je mesure encore, à sa juste valeur, la sagesse de ses prises de position surtout après avoir fait successivement l’expérience de deux incidents survenus lors des patrouilles villageoises, l’un ayant conduit à un coup de feu à bout portant d’un braconnier sur un surveillant villageois ; et l’autre s’étant soldé par la mort d’un braconnier des suites d’un accrochage avec les surveillants villageois. Ces deux incidents ayant connu un traitement judiciaire, je comprends encore, aujourd’hui plus qu’hier, la justesse de ses mises en garde.
Laurent Mermet et Armelle Caron, Enseignants-chercheurs à AgroParisTech : Ils m’ont permis de mieux comprendre le positionnement des organisations de la société civile en tant qu’acteurs minoritaires de changement et de connaitre les techniques de négociation dans le domaine de l’action publique en matière d’environnement. Ces nouvelles compétences ont cultivé en moi un regard lucide et une certaine humilité en termes de capacités d’action mais également de limites des ONG et associations écologiques dans le processus de changement en matière d’environnement. Bien évidemment, il en découle une certaine efficacité dans la conduite de mes actions quotidiennes.
Enfin pour terminer, je voudrais remercier tous mes autres compagnons dont les noms n’ont pu être cités ici, mais qui ont contribué à la structuration de mon éthique écologique.
- Si vous étiez un animal / une plante vous seriez ? pourquoi ?
Si j’étais un animal, je serais un aigle car il incarne les principes fondamentaux que j’essaie de respecter dans mon leadership quotidien. Il s’agit, entre autres, de :
– Le choix de bons collaborateurs/partenaires ;
– La concentration sur sa vision ;
– L’abandon de sa zone de confort pour affronter de nouveaux challenges ;
– La persévérance face aux épreuves difficiles ;
– La capacité de se régénérer, de se réinventer.
En somme, ce rapace symbolise la force, la puissance, la stabilité, l’endurance, la persévérance et la régénérescence qui sont des qualités nécessaires pour tout leader qui veut être impactant dans ces domaines d’action.
- Si vous aviez un pouvoir magique extraordinaire que souhaiteriez vous changer ?
Mon souhait le plus ardent serait de convaincre les pouvoirs publics à aller au-delà des discours et des engagements pris lors des conventions et autres fora internationaux pour poser des actes concrets en matière de conservation. Cela passe par l’allocation de ressources financières conséquentes et l’application effective des politiques, programmes, projets et plans d’actions par les États parties aux différentes conventions ainsi que leurs partenaires techniques et financiers.
- Quels conseils donneriez vous aux jeunes africain.es qui comme vous veulent s’engager dans la vie associative au profit de la Nature ?
Aux jeunes africains désirant s’engager dans la vie associative au profit de la nature, je prodiguerais 3 conseils majeurs :
– Premièrement, se former et se cultiver afin de disposer de l’expertise nécessaire, gage de succès des actions qu’ils seront amenés à réaliser ;
– Deuxièmement, être patient car s’engager pour la nature est un engagement à long terme du fait de la spécificité même de la nature, qui nécessite plusieurs années d’intervention avant que les effets des actions réalisées ne soient perceptibles de façon objective ;
– Troisièmement, se dévouer entièrement car l’engagement associatif est un sacerdoce qui exige de l’altruisme, de la disponibilité et du don de soi.
Si ces conseils sont respectés, il n’y a aucun doute que leur engagement sera couronné du succès escompté.