Entretien avec Léonidas Nzigiyimpa, fondateur de Conservation et Communauté de Changement (3C), Burundi

1. Léonidas, tu es le leader d’une Organisation de la Société Civile, Conservation et Communauté de Changement (3C), travaillant sur la conservation de la biodiversité au Burundi. Peux-tu nous en dire plus sur le contexte environnemental de ton pays, ainsi que les principales menaces pesant sur la biodiversité et les causes de celles-ci selon toi ? 

Le Burundi est un petit pays  à cheval entre l’Afrique Centrale et l’Afrique de l’Est. Il est connu pour sa très forte démographie. Plus de 90% de la population dépend de l’agriculture pour sa subsistance, avec comme conséquence une forte pression sur les forêts naturelles restant dans le pays, la plupart confinées dans les aires protégées. Plusieurs espèces animales emblématiques sont désormais éteintes au Burundi telles que les éléphants, les girafes, les lions, ou encore les rhinocéros. Les principales menaces pesant sur les écosystèmes forestiers sont la déforestation, l’agriculture, les feux de brousse, l’installation des infrastructures, l’extraction minière ou encore les espèces envahissantes.  

En matière de politique de protection de la biodiversité, le Burundi compte actuellement 15 Aires Protégées réparties sur 5.6% du territoire national.  La plupart de celles-ci sont fortement menacées, en raison des pressions anthropiques. C’est le cas de la réserve naturelle de Monge, la réserve naturelle de Vyanda, les paysages protégés de Makamba et ceux de Gisagara. Il y a urgence à les sauver de la disparition.  

2.Face à ce constat, tu décides donc de créer 3C en 2019. Quelle a été ta motivation initiale, profonde à créer cette organisation ? Quels sont les combats que vous menez ? 

Face à constat amer, j’ai décidé de créer une organisation dédiée à la cause de la conservation de la nature et de la biodiversité  main dans la main avec les communautés locales. Eu égard à mon humble expérience, j’ai compris que l’implication des communautés locales est la voie la plus sûre pour préserver durablement la biodiversité. Dans le contexte du Burundi, les autres voies sont sans issue. En créant mon organisation «  Conservation et Communauté de Changement – 3C », je cherchais à mettre en œuvre ma vision de manière plus  libre, tout  en prenant soin de m’entourer d’une équipe jeune pour m’aider  à l’accomplir.  

Les combats ou les défis à relever sont nombreux : il est difficile de parler de la conservation de la nature aux communautés pauvres, sans suffisamment de terre et de ressources pour couvrir le minimum de leurs besoins vitaux ; il est très compliqué de protéger la biodiversité avec des moyens financiers limités ; le rythme de la perte de la biodiversité favorisé par la configuration géographique du Burundi ( montagnes et collines) est tellement élevé que je crains le pire dans un très proche avenir ;  enfin, le domaine de la conservation de la nature manque cruellement d’expertise technique disponible localement.  

3.Après ces nombreuses années passées sur le terrain, j’imagine que tu as déjà pu tirer un certain nombre de leçons apprises concernant l’action de la société civile environnementale. Quels sont selon toi les principaux facteurs d’échec et de réussite sur le terrain en matière de conservation de la biodiversité ? As-tu des conseils à donner à une organisation débutante ? 

Sans vouloir critiquer qui que ce soit car ça ne serait pas correct de ma part, j’ai l’impression que beaucoup d’organisations de la société civile qui évoluent dans le secteur de l’environnement manquent de vision. Beaucoup se comportent comme des prestataires de services, des touche-à-tout sans savoir trop en quoi elles sont spécialisées. A mon avis il est important d’avoir une vision, de se focaliser sur la mise en œuvre de cette vision et de chercher les moyens nécessaires de sa mise en œuvre.  

Les principaux facteurs d’échec sur le terrain en matière de conservation de la biodiversité sont le fait de creuser un fossé entre les décideurs et  les services techniques d’un côté et les communautés locales de l’autre. Mes nombreuses années passées sur terrain m’ont donné l’opportunité de découvrir dans les communautés locales de grands détenteurs du savoir pour avoir vécu et  grandi avec la biodiversité.  Ils m’ont appris beaucoup de choses et je continue à me ressourcer auprès d’eux. Si vous composez avec ces grands maîtres du savoir, vous êtes sûrs de réussir le pari de la conservation de la biodiversité.  

Quel conseil pour une organisation débutante ? Primo avoir une vision clairement définie de ce qu’on veut faire et se focaliser sur cette vision. Secundo, s’entourer d’une équipe de mise en œuvre qui partage la même vision ou alors qui la  comprend et s’engage à la mettre en œuvre. Et non une équipe prête à faire la  guerre quand le moindre financement est décroché. Tertio, apprendre des autres sur ce qui a marché et ce qui n’a pas marché. Quarto, rendre compte aux partenaires. 

4.L’année 2024 débute bientôt : quelles sont vos perspectives pour cette nouvelle année ? Y a-t-il des actions à venir qui t’enthousiasment particulièrement, et si oui, pourquoi ? 

Tout à fait, il y a des actions à mettre en œuvre qui brûlent en moi pour 2024 :  

-Poursuivre les efforts en vue d’assurer l’intégrité physique des 14.000 ha qui constituent les derniers habitats des chimpanzés au sud du Burundi ;  

-Réussir l’initiative de la création de la forêt communautaire  du Mont Ganza (815 ha) avec les communautés locales  au sud du Burundi. Une grande première dans l’histoire du Burundi ;  

-Planter et faire pousser 500.000 arbres par et pour les communautés locales autour des aires protégées du sud du Burundi ;  

-Planter par et pour les communautés locales  20.000 arbres fruitiers. 

-Faire le suivi écologique et l’habituation des chimpanzés du parc national de la Kibira pour promouvoir l’écotourisme de niche basé sur cette espèce. 

La mise en œuvre de toutes ces actions est d’autant plus importante qu’elles répondent aux besoins réels de résilience des communautés locales.