Au Burkina faso, les abeilles protègent les hippopotames sacrés de Woozi
Published on 9 juillet 2024L’association BISSAKOUPOU est une organisation de la société civile qui, depuis 1996, est active dans la conservation de la nature et le développement de la région du Centre Est au Burkina Faso. L’association dispose de plus de 2 000 membres et couvre un rayon d’action de 30 communes sur trois provinces. Les expériences capitalisées sur le développement local ont permis d’identifier des secteurs d’activités porteurs d’espoir. Ainsi l’apiculture s’est avérée génératrice de savoir-faire et de revenus et mérite d’être valorisée.
Le Burkina Faso est un pays à vocation essentiellement agro-pastorale. L’élevage occupe une place importante dans l’économie comme en témoigne sa contribution au Produit Intérieur Brut et aux recettes d’exportation. Plus de 80% de la population tire une partie de son revenu de l’élevage. Ce sous-secteur dispose de potentialités susceptibles d’améliorer sa contribution dans l’économie nationale. C’est notamment le cas de la filière apicole pour laquelle la demande en produits de la ruche est de plus en plus croissante.
Cet article a pour objectif de partager avec les acteurs de la société civile ainsi que les partenaires techniques et financiers (privé et public), une approche de pérennisation des initiatives de conservation de la biodiversité via l’apiculture dans le refuge local des hippopotames de Woozi.
Une méthode structurée et des communautés engagées.
Les hippopotames provoquent des dégâts de cultures aux abords des berges (broutage, piétinement des cultures de maïs, d’arachides et de produits maraîchers), à l’origine de conflits récurrents avec l’Homme. L’association BISSAKOUPOU, face à cette problématique, a entrepris une approche de compensation en engageant la promotion de la filière apicole, sources de revenus alternatifs et de renforcement des services écosystémiques notamment celui de la pollinisation.
La méthode a été celle de collecter et d’analyser les attentes et perspectives des communautés riveraines exploitant les berges et victimes des dégâts d’hippopotames. Faisant suite aux concertations, il a été décidé de mettre en place un dispositif d’auto-financement de la conservation par le reversement d’une partie des recettes générées de l’apiculture aux actions de conservation du refuge et des hippopotames. Les outils développés reposaient sur les rencontres villageoises, les visites terrains, les fiches de collecte des informations.
Une reconversion réussie et des revenus qui augmentent
En trois ans d’intervention, 48 personnes exploitant les berges dont 19 victimes des dégâts d’hippopotames sur les deux rives (Est et Ouest) du refuge ont volontairement « accepté de ne plus cultiver sur les berges où sont présents les hippopotames » et ont bénéficié d’une formation en apiculture moderne. Sur la base de cette première phase, les « nouveaux apiculteurs » ont reçu 144 kits apicoles (ruches améliorées, abreuvoirs, gants, bottes, combinaison, etc.).
Ce processus a été accompagné en amont par un suivi « appui conseil » régulier des apiculteurs par les animateurs de BISSAKOUPOU afin d’assurer les conditions optimales de production du miel et en aval par la mise en relation des apiculteurs avec l’entreprise DAKUPA/BMN comme acheteur potentiel du miel au prix négocié de 2000 FCFA le Kg (3 €/Kg) du miel brut afin de sécuriser le marché.
L’analyse économique sommaire donne les résultats suivants et montrent la durabilité économique de l’approche.
Avec ce retour sur investissement de 68% en trois ans, la moyenne des revenus générés par apiculteur (si nous tenons compte que les investissements sont subventionnés) est de l’ordre de 156 000 F CFA/an (238 €/an). Ce qui est déjà intéressant par rapport à la moyenne national de revenu par apiculteur. En effet, le rapport « Recensement des apiculteurs du BURKINA FASO (Mars 2019) » a recensé 16 261 apiculteurs au niveau national avec une génération globale de 2 777 682 600 F CFA (4 234 550 €) de revenus de vente du miel et de la cire (sur la base de 3 000F CFA/Kg (4,6 €). Ce qui donne une moyenne de 170 819 FCFA[1] (260 €) contre 156 000 F CFA (238 €) pour les apiculteurs de BISSAKOUPOU, sans la production de cire et avec un prix de vente du miel de seulement 2 000 F CFA/Kg contre 3 000 F CFA/Kg pour les autres apiculteurs nationaux. En outre, les ressources financières générées ont permis aux bénéficiaires de faire face aux besoins de leurs ménages, mais aussi de renforcer leurs activités par l’acquisition d’au moins une ruche additionnelle par apiculteurs sur fonds propres.
Un réinvestissement en faveur de la conservation de la biodiversité
D’autre part, 25% des bénéfices, soit un montant total de 5 616 000 F CFA (8 562 €) en trois ans, a permis de financer certaines activités du plan d’action simplifié (Rencontre périodique, Assemblée Générale, Reboisement, surveillance du refuge etc…) de l’association inter-villageoise de gestion du refuge local des hippopotames de Woozi.
De nombreux bénéfices durables et reproductibles
L’articulation d’une approche de promotion de la filière apicole qui prend en compte les problématiques de cohabitation Homme/Faune dans un contexte de forte vulnérabilité des communautés rurales face aux effets des changements climatique peux servir de modèle socioéconomique pour bâtir/renforcer les stratégies de conservation ;
L’utilisation de la filière apicole contribue à l’atteinte du double objectif de renforcement de la résilience de l’écosystème Woozi par la fourniture de services de polonisation à travers l’abeille et la génération de revenus alternatifs pour atténuer la vulnérabilité des petits producteurs exposés non seulement à la faible productivité de terres, mais aussi victimes des dégâts causés par les hippopotames ;
La mise en exergue de l’approche préleveur/payeur ne peut se concrétiser que sur la base d’une confiance mutuelle entre les acteurs. En acceptant de réinjecter 25% des revenus générés de la commercialisation du miel pour renforcer les activités de conservation de la biodiversité et des espaces agroforestiers du refuge par le comité inter villageoise de gestion du refuge, c’est toute la problématique de l’engagement communautaire en faveur de nature et des Hommes qui est mis en exergue et constitue une source de durabilité.
Encore plus loin et développer l’approche
Les principaux enjeux restent la mise à l’échelle de l’approche dans d’autres espaces forestiers d’une part et l’amélioration de la chaine de valeur par la labélisation des productions. Cela nécessite la mise en place de centre de traitement et de conditionnement afin de faciliter la traçabilité des productions et l’amélioration des recettes.
Aussi, au regard du rôle joué par l’association dans la conception de cette approche intégrant conservation et amélioration/diversification des revenus, il sera important que ce modèle soit documenté et largement diffusé auprès des organisations de la société civile active dans la conservation. Du reste d’autres expériences de bonnes pratiques dans la gestion des espaces agroforestiers existent (reboisement, fosse fumière, cordons pierreux, protection des berges)
A ce jour et sur la base des leçons tirées, BISSAKOUPOU recherche des appuis complémentaires pour capitaliser et partager avec d’autres communautés son expérience, son savoir-faire et encourager au niveau national les bonnes pratiques agro-pastorales et solutions fondées sur la Nature. Il s’agit notamment de concevoir des supports adaptés aux différentes communautés (affiches, dépliants, guide et manuel d’activités) et de démultiplier l’initiative.
Contacts : Daouda Zeba, bissakoupou@yahoo.fr
Whatsapp : +226 70 11 39 73
[1] MINISTERE DES RESSOURCES ANIMALES ET HALIEUTIQUES, recensement des apiculteurs et caractérisation des exploitations apicoles du BURKINA FASO, Mars 2019, 39 Pages