Entretien avec Alex Ebang Mbélé, président de l’organisation NADA au Gabon

Published on 3 mars 2025
ICON/BTN/arrow/2/arrow-down Created with Sketch. Création - gestion d'aires protégéesEntretien avec Alex Ebang Mbélé, président de l’organisation NADA au Gabon

Bonjour Alex. Tu es le président de l’organisation NADA, au Gabon. Peux-tu nous dire un mot sur NADA, plus spécifiquement sur l’histoire qui explique sa création, et qui me semble assez atypique ?

 

En effet, je suis le président de l’association Nsombou Abalghe-Dzal (NADA) et point focal du consortium APAC au Gabon. NADA est une organisation communautaire implantée à Makokou, dans la province de l’Ogooué Ivindo, au nord-est du Gabon.

 

Cette région est particulière. En effet, elle est située au cœur du bassin du Congo, elle constitue un poumon pour la planète, et un véritable ilot de biodiversité. Elle abrite des zones cle de la biodiversité au Gabon comme les monts Belinga, Sassamongo et Mbengoué et fait à ce titre partie du fameux Landscape TRIDOM. Ce territoire compte deux parcs du patrimoine mondial de l’Unesco (parcs nationaux de la Lopé et de l’Ivindo), le parc national de Mwagna et est connectée à celui de Minkébé.

 

Au sein de cette zone opèrent de longue date un grand nombre d’exploitants forestiers et miniers, et l’activité d’orpaillage artisanal connaît une accélération au cours des dernières années. Plusieurs forêts communautaires sont reconnues au profit de communautés dépendantes de ces espaces, avec la présence au sein de ceux-ci de nombreuses ressources forestières  telles que la viande de brousse ou les produits forestiers non ligneux (PFNL). Ce territoire contient également de nombreux sites importants au niveau culturel et des sites ancestraux. Pour résumer, il s’agit d’une zone très dynamique en termes d’acteurs et de forces en présence, où de nombreux usages de la terre et de la forêt sont observés, de manière parfois conflictuelle.

 

Au terme de deux ans de mise en oeuvre de projets avec la Duke Université, des communautés de para-écologistes impliquées dans ces derniers ont formulé des critiques sur les limites liées à la durée des projets, le traitement d’un seul aspect à travers ces derniers, malgré une diversité de problématiques, et ont manifesté un profond désir de s’organiser de manière endogène et indépendante afin de faire valoir leurs savoirs écologiques traditionnels dans un cadre plus élargi et leur appartenant pleinement. La région ne disposait à l’époque pas d’une organisation locale capable de les réunir et de faire entendre leurs voix dans la gouvernance et la gestion des ressources naturelles.

 

Face à cela, étant leur formateur en éducation environnementale, et associé à mon collègue canadien qui co-dirigeait le projet de Duke, nous avons été réceptifs à ces signaux et avons accepté de nous associer à l’équipe des para-écologistes afin de réfléchir à la création d’une organisation permettant de répondre plus pleinement aux aspirations des communautés. Après de nombreuses réflexions, NADA a vu le jour lors de sa première Assemblée Générale tenue en décembre 2019.

 

A sa création, l’équipe de NADA était constituée de 21 membres et elle en compte désormais 27. Sa vision et ses missions ont largement évoluées au cours des dernières années, au regard de la dynamique des enjeux de conservation dans le monde.

 

 

Comme pour toute organisation de la société civile, votre travail s’inscrit dans un contexte, celui de la conservation en Afrique Centrale, avec ses caractéristiques spécifiques. Dans ce contexte, peux-tu nous dire un mot sur ce qui te semble particulier dans votre approche ? En quoi celle-ci est-elle potentiellement différente, et promeut une nouvelle vision, innovante, de la conservation de la biodiversité ?

 

Notre travail s’inscrit en effet dans un contexte particulier où selon moi la conservation étatique des ressources naturelles pose problème et où le cadre juridique encadrant la foresterie nécessite d’être actualisé.  Les communautés ne veulent plus être de simples spectateurs de l’exploitation et de la gestion de leurs ressources naturelles, et un nombre croissant de partenaires techniques et financiers veulent voir leurs financements arriver plus directement sur le terrain, au sein de ces mêmes communautés.

 

De plus, la foresterie communautaire au Gabon est souvent résumée aux seules « forêts communautaires »,  or le sujet dépasse largement ce cadre, et cet outil, où l’administration attribue ces portions de forêt aux communautés en faisant la demande, concerne avant tout la question de l’exploitation des ressources ligneuses, en d’autre termes  « l’exploitation forestière », là où de nombreux autres enjeux existent au sein des territoires ruraux de la région.

 

Du côté de NADA, nous essayons en effet d’apporter un certain nombre d’innovations autour de cette question de la foresterie communautaire au Gabon, aussi dans l’optique d’inspirer les pratiques à un niveau sous-régional, voire à terme international.

 

Concernant la chasse villageoise et la crise de la viande de brousse dans le Bassin du Congo, nous essayons d’accompagner des communautés dans leur réflexion quant à la gestion endogène de la ressource. Il s’agit ici d’accompagner une réflexion, de voir comment repenser les règles de gestion de la faune et sa gouvernance par et pour les communautés gabonaises.

 

Nous travaillons également à la documentation et la reconnaissance des Aires et territoires du patrimoine autochtone et communautaire (APAC), et pour que le cadre juridique sur les aires protégées au Gabon intègre et reconnaisse cette notion. A ce titre, NADA vient en collaboration avec l’administration des Eaux et Forêts et des partenaires techniques et financiers de réaliser une analyse des cadres juridiques dans le bassin du Congo qui prennent en compte des APAC et organiser le premier atelier national sur cette question. Un grand resultat de l’engagement du gouvernement gabonais dans la reconnaissances des APAC est que le Gabon vient d’intégrer le fond mondial des APAC via le programme de microfinancement SGP du PNUD.

 

Enfin, notre action porte également sur la redéfinition de la méthodologie en matière de cartographie communautaire au Gabon. Nous essayons en effet de proposer des innovations en la matière, afin de mieux capter le domaine forestier rural avec une méthode robuste que nous définissons comme communautaire, plutôt que participative, car les zone à cartographier appartiennent aux communautés.

 

 

En plus de la question des APAC et de la cartographie participative, vous avez donc également travaillé sur la question de la gestion collective de la chasse villageoise, en prenant le soin de mener des actions de recherche à ce sujet. Y a-t-il des leçons apprises particulièrement intéressantes sur ces trois aspects, et que tu souhaiterais mettre en avant ?

 

Au final, la question des APAC, de la gestion communautaire de la chasse et de la cartographie communautaire sont intimement liées.

 

La pratique de la chasse se déroule en effet dans un territoire bien précis, et par conséquent, le fait de reconnaître des APAC permet de sécuriser juridiquement l’espace ou les communautés pratiquent cette activité pour la subsistance.

 

Ainsi, nous soutenons la reconnaissance d’Aires Protégées à vocation communautaire au sens large, afin que le territoire communautaire soit reconnu juridiquement et que tous les écosystèmes, ainsi que la biodiversité et la richesse culturelle de ce territoire soient gouvernés et gérés durablement, par les communautés y vivant elles-mêmes. Dans cette optique, la chasse devient une activité, au même titre que la récolte des PFNL.

 

La faune est en effet une ressource épuisable, subissant dans certains contextes des pressions importantes exercées par les communautés autochtones et locales elles même. Or, si la ressource vient à manquer, ces dernières seront les premières à en être impactées.

 

Ainsi, pour trouver des solutions pour maintenir sa durabilité, il nous paraît important d’accompagner la réflexion desdites communautés, pour qu’elles contribuent de manière endogène à cette réflexion, au lieu de les exclure et de chercher à apporter des solutions qui ne sont pas adaptées à leurs réalités quotidiennes. A l’issue du processus d’accompagnement, chaque activité sera amenée à être encadrée dans un plan simple de gestion en suivant des règles de durabilité de l’utilisation de la ressource.

 

La conservation communautaire renvoie donc à l’appropriation de la conservation par les communautés elles-mêmes, pour leur permettre d’agir au regard des enjeux auxquelles elles font face. Notre expérience a démontré que les règles de gestion de la chasse définies et adoptées par les communautés elles-mêmes permettent de réduire véritablement la pression sur la ressource de viande de brousse.

 

 

Pour finir, y a-t-il une réussite te rendant particulièrement fier depuis la création de NADA et dont tu voudrais nous parler ? Dans le même sens, que voudrais tu voir atteint dans deux ans, et qui te rendrait particulièrement heureux ?

 

La progression de NADA dans l’arène de la conservation de la biodiversité et les problématiques que nous traitons en rapport avec la foresterie communautaire me rendent particulièrement fier. Le fait d’avoir contribué à la reconnaissance de l’APAC de la communauté de Massaha, avec le soutien de nos différents partenaires (administration, ICCA, PKF et Right and Resources Initiave) est une vraie victoire pour cette communauté, et au final pour le pays et le monde de la conservation en général.

 

Je suis particulièrement fier de notre capacité à innover dans tout ce que nous faisons actuellement. Nous sommes, je crois, des pionniers au Gabon, les premiers à parler d’APAC et des aires conservées communautaires de manière plus large. PPI, RRI, MULAGO et OTTERFONDS nous soutiennent dans ce sens. Nous innovons également en poussant une nouvelle approche de cartographie communautaire. NADA fait par ailleurs partie du groupe de travail relatif à l’amélioration du cadre réglementant la gestion de la faune au Gabon, là encore pour pousser des visions innovantes de la conservation.

 

NADA bénéficie du programme Canopée sur le leadership des OSC de la conservation communautaire dans le bassin du Congo, initiative développée par WELL GROUNDED et MALIASILI. Nous sommes également membre du Consortium mondial APAC, du REPALEAC. Notre visibilité ne fait que s’accroître. Nous venons de co-organiser avec PPI un webinaire sur les « Aires du Patrimoine Autochtones et Communautaires (APAC) et l’innovation en cartographie participative au Gabon : Retour d’expérience de l’ONG NADA ». NADA est dans une forte dynamique de collaboration avec des institutions et organisations comme DGEDD, DGFAP, DCAJ, IRET, PNUD, Maliasili, université de Lausanne, Panthera, WWF, Ivindo FM, PROGRAM, NGUDU DIMBU, OELO, TrCom. Keva Initiative, Ma Terre Mon Droit, JFC, etc.

 

Je suis également très fier du fait que le Gabon ait récemment intégré le fond mondial des APAC. Tous ces éléments de reconnaissance progressive suscitent une joie au plus profond de moi.

 

Dans les deux prochaines années je souhaiterais que l’effort de travail de l’équipe de NADA soit récompensé à sa plus juste valeur et de manière durable. Gagner une stabilité financière, trouver un ou plusieurs partenaire pour nous aider à finaliser l’outil de cartographie actuellement en développement, constitue pour nous un véritable enjeu.

 

J’aimerais profondément que le cadre juridique des aires protégées au Gabon intègre et consacre finalement la notion d’APAC et que nous arrivions à finaliser notre modèle afin que notre travail soit mis à l’échelle. Nous voulons investir dans la formation pour que notre équipe soit à la hauteur de nos ambitions, et de développer un programme de formation des conservateurs des aires conservées  communautaires.

 

Enfin, nous réfléchissons actuellement autour de la prégnante question des conflits hommes-éléphants et pensons que les exploitants forestiers et miniers devraient être impliqués dans la compensation des communautés. Nous proposons d’intégrer cette compensation dans les cahiers de charge contractuel des communautés. Il existe une corrélation évidente entre l’exploitation des ressources dans une zone et ce type de conflits. En effet, les communautés subissent des dommages collatéraux et les responsables qui ont exploité une zone devraient verser une compensation aux communautés. Un nouveau défi pour notre équipe selon moi….

 

 

Merci PPI de m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer.

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