Interview : Jairus Guejo – CERAF NORD (Cameroun)
Published on 11 juillet 2022« Un défi majeur pour une jeune organisation telle que la nôtre réside dans le fait de parvenir à coordonner ses actions avec les autres partenaires au développement intervenant dans la même zone d’intervention, ou sur des thématiques similaires. Il est bien souvent difficile d’apparaitre sur le radar de ces derniers comme étant un acteur crédible et légitime »
Bonjour Jaïrus. Tu es le coordinateur de l’association camerounaise CERAF NORD, qui travaille au Nord Cameroun, dans et autour du Parc National de la Bénoué. L’histoire de cette Aire Protégée est intéressante, peux-tu nous la résumer en quelques mots ? Quelles sont les principales menaces auxquelles le PNB fait face et quelles sont selon toi les causes de celles-ci ?
D’une superficie de 180.000 ha, le Parc National de la Bénoué était anciennement un territoire de Chasse du Lamido de Rey Bouba. Existant depuis 1932, il ne prendra sa dénomination de Parc National qu’en 1968.
En 1981, il s’inscrira dans le réseau de Réserves de Biosphère de l’UNESCO. Situé dans le département du Mayo Rey, plus précisément dans l’arrondissement de Tcholliré, le Parc fait partie du complexe d’Aires Protégées du Nord Cameroun, qui
comprend 3 Parcs Nationaux, avec le Parc du Faro et de Bouba Ndjidah et 34 zones d’intérêt cynégétique.
Le Parc National de la Bénoué fait actuellement face à de nombreuses menaces, comme l’avancée du front agricole, poussée par la forte migration de populations venues de la région de l’Extrême-Nord en quête des terres arables, l’orpaillage, dans et autour du Parc, le pastoralisme, avec une très grande activité de transhumance de bergers et de leurs troupeaux venant non seulement des zones arides du Cameroun, mais également du Nigeria, du Niger, du Tchad et même de la RCA. Ce phénomène a des conséquences notamment sécuritaires. Le braconnage des espèces menacées dans et autour de l’Aire Protégée (AP) est également une préoccupation majeure. La forte migration susmentionnée est née en partie à la suite des exactions BOKO HARAM dans la région de l’Extrême Nord et qui va engendrer la création de nouveaux villages autour du Parc National de la Bénoué.
C’est dans ce contexte qu’intervient le CERAF NORD. Quelle est l’histoire de l’organisation, sa vision et sa mission ? En quoi votre action peut-elle selon toi contribuer à inverser la tendance ?
La vision du CERAF NORD est de contribuer à restaurer des écosystèmes dégradés où se développent une économie verte pour le bien être humain et l’émergence de modes de vie soutenable. Au regard de cela, notre mission vise à mettre en œuvre des réponses basées sur la compréhension des enjeux et dynamiques de restauration dans les écosystèmes dégradés et fragiles en s’appuyant sur les connaissances, les acquis, et les atouts des partenaires identifiés.
Le CERAF-Nord a une action modeste, mais un rôle pionnier dans la gestion intégrée du paysage et surtout une spécialisation dans la restauration. Notre cœur de métier est dans la restauration des écosystèmes fragiles et dégradés avec un rôle central conféré à l’agroforesterie.
Nous nous appuyons sur les besoins évoqués par les communautés pour apporter des Solutions Fondées sur la Nature, en mettant beaucoup l’accent sur des questions de sensibilisation.
A titre d’exemple, avec l’accompagnement de plus de 800 pépiniéristes formés et 1 500 producteurs issues de la communauté, nous avons mis en terre 261 000 arbres d’essences diverses ont été plantés dans le site d’intervention pour près de 2 600 hectares reboisés depuis 2018.
3 filières, le karité, l’anacarde et l’apiculture, ont été développés au sein des communautés riveraines du PNB, structurées en organisations professionnelles. Ceci a alors permis la reconversion de plus 400 personnes qui sont désormais des artisans du développement durable autour de l’aire protégée.
En 2020, le CERAF-Nord a contribué à la résolution des conflits entre les bergers transhumants et le service de la conservation, en participant à la relocalisation de 83 bergers qui étaient installés dans l’emprise du Parc National de la Bénoué, dans sa périphérie.
De quelles réalisations êtes-vous particulièrement fiers ? Pourquoi ?
De nos réalisations, nous sommes particulièrement fiers de la dynamique communautaire autour du Parc National de la Bénoué que nous avons pu susciter, en emmenant les acteurs de la dégradation (1500 riverains) autrefois, en acteurs du développement durable et de la conservation de la Biodiversité. Nous faisons ainsi allusion aux braconniers, charbonniers, et orpailleurs qui sont devenus au fil du temps et de par les sensibilisations et formations, les agents de reboisement et de sensibilisation, les spécialistes de la faune pour le suivi écologique, et les agents vulgarisateurs des bonnes pratiques agriculturales.
Tout ceci a suscité la curiosité de Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur de France au Cameroun, qui a tenu d’ailleurs à venir toucher du doigt le travail de terrain du CERAF.
La reconnaissance accordée par différents partenaires et techniques et financiers au cours des dernières années nous rends également particulièrement fiers, ainsi que la relation que nos actions ont pu créer avec des universités et divers secteurs professionnels, ayant permis l’encadrement de jeunes professionnels ayant pu avoir par la suite un emploi au sein ou hors du CERAF-Nord.
A ce titre, le CERAF-Nord est aujourd’hui pourvoyeur d’emploi pour 9 jeunes professionnels camerounais, accorde une couverture sociale à ses employés et leur fournit le minimum logistique pour l’exercice de leurs fonctions.
Vous êtes une jeune organisation, encore en phase de croissance. Quelles leçons tirez-vous de ces premières années d’existence ? A quels défis avez-vous fait face jusqu’à présent et quelles sont vos priorités, en termes de développement organisationnel et stratégique ?
Plusieurs leçons peuvent être tirées de nos premières années de travail sur le terrain. Parmi celles-ci je pense notamment à l’importance de savoir créer des espaces de dialogue entre les différentes parties prenantes impliquées dans les dynamiques de conservation et de gestion des ressources naturelles. Cette façon de faire a permis aux différentes parties d’exposer leurs difficultés et préoccupations et d’envisager des actions de régulation concertées et validées.
La prise en compte du pouvoir de l’autorité traditionnelle est incontournable dans notre zone d’intervention, dès lors qu’on désire mettre en œuvre des projets en milieu rural. Car elle reste incontournable pour la redynamisation des communautés dans l’action à mettre en œuvre.
Le fait d’être transparent et de communiquer les résultats des actions de terrain aux différents partenaires, locaux et institutionnels, me semble également être un facteur clé de réussite car cela augmente la crédibilité envers ces différentes parties prenantes, ainsi que la confiance et la qualité de la relation.
Un défi majeur pour une jeune organisation telle que la nôtre réside dans le fait de parvenir à coordonner ses actions avec les autres partenaires au développement intervenant dans la même zone d’intervention, ou sur des thématiques similaires. Il est bien souvent difficile d’apparaitre sur le radar de ces derniers comme étant un acteur crédible et légitime, ce sur quoi nous essayons actuellement de travailler, notamment via l’élaboration de notre plan stratégique pour les 5 prochaines années, qui constituera une feuille de route nous permettant de voir clairement où nous souhaitons aller, nos priorités, et qui nous donnera également les moyens de communiquer efficacement à ce sujet auprès de ces partenaires.
Une autre priorité réside dans la redéfinition de notre organigramme interne et la mise en place d’un système d’évaluation des performances de CERAF, l’organisation ayant beaucoup évolué au cours des dernières années et le système actuellement en place n’étant plus complètement adapté à notre nouveau contexte.